jeudi 7 février 2013

Masato Matsuura



Grand maître d’une pratique aussi exigeante que mystérieuse, Masato Matsuura était à Bruxelles à l’occasion d’un stage de théâtre Nô donné dans les locaux de la Bellone. Entretien avec un authentique Sensei venu du pays du soleil levant.

Vous avez commencé à étudier le Nô à l’âge de 18 ans. Qu’est-ce qui vous a tant attiré vers cette pratique ?

Masato : Je ne suis pas né dans une famille pratiquant le Nô du coup je ne connaissais pas très bien cet art ; mais au Japon ses masques font partie de la culture populaire et j’ai été attiré par leur mystère. Lorsque je suis entré à l’université, j’ai eu l’occasion d’intégrer une grande troupe qui étudiait le Nô. C’est à partir de là que j’ai été voir énormément de pièces et que j’ai commencé à le pratiquer en amateur. Après deux ans de pratique, je décidai de devenir professionnel.

Et vous avez donc intégré une école ?

Masato : Il n’y a pas d’école de Nô, il n’y a que des familles qui en gardent les secrets. J’ai donc stoppé mes études et je suis devenu Uchi deshi, ce qui veut dire un disciple direct vivant sous le toit de son maître. J’ai vécu au sein de cette famille durant cinq ans.

Photo : Robert Bui
Vous viviez toujours là ?

Masato : Oui ! 24h/24h même les dimanches. Je n’avais que trois ou quatre jours de « congé » par an !

Et vous n’aviez aucune appréhension à vous lancer dans un style de vie aussi particulier ?

Masato : J’étais jeune et l’aventure m’appelait ! Bien sûr que j’avais quelques craintes mais la curiosité m’animait bien plus fort.


Dans une précédente interview, vous avez confié que votre maître était extrêmement sévère avec vous.

Masato : Oui ! Il me frappait souvent ! (rires) Le matin je le saluais et il passait sans me regarder. C’était la manière traditionnelle d’enseigner, que l’on retrouve dans l’enseignement du Zen : le maître travaille à enlever les caractères du disciple, à supprimer l’ego mal placé, afin qu’il atteigne un état tel qu’il soit prêt à recevoir. Le maître était dur avec moi pour prévenir de toute bêtise, nous étions souvent humiliés.

Etiez-vous en accord avec cette méthode ?

Masato : Oui et non. Parce que ça fait partie de la tradition ! Depuis le 20e siècle, il s’agit d’une pratique respectée de tous, ça fait partie du trésor historique japonais. Après, si je dois former un vrai professionnel du Nô, j’opterai pour une méthode plus efficace. Mais comprenez bien qu’il ne s’agit pas d’un travail plus facile - c’est un travail tout aussi exigeant mais qui peut ne pas se passer dans la douleur. Maintenant que j’ai acquis les outils du Nô, je peux les transmettre aux autres à travers ma forme d’art et d’enseignement.

Selon vous, pourquoi le Nô est-il essentiel aujourd’hui ? Joue-t-il un rôle important dans la société ?

Masato : Au japon, le Nô est une tradition qui témoigne d’une sophistication, d’une certaine érudition qui est précieuse au patrimoine culturel. Les japonais le considèrent comme un pic de la culture japonaise. Mais cet art est tellement particulier qu’il ne s’adresse pas à tout le monde, il n’est pas très populaire. Il est régulièrement considéré comme élitiste et ésotérique.

Du coup, croyez-vous que cette pratique puisse disparaître ?

Masato : Pour l’instant, elle ne connait pas la crise ! (rires) Mais petit-à-petit, comme souvent, les traditions s’effacent et se ferment. Mais je crois que ça va de toute façon évoluer ; le Nô tel qu’on l’aborde aujourd’hui est différent de la façon dont on l’abordait à l’ère Meiji, qui est différente de ce qu’elle était à l’ère Edo. On peut difficilement imaginer le théâtre Nô pratiqué par ses fondateurs, notamment par Zaemi.

Et comment le théâtre Nô est-il reçu aujourd’hui au Japon et en Europe ?

Masato : Vous savez, 80% des japonais n’ont jamais vu de pièce de Nô. Beaucoup de gens considèrent que le Nô est long et ennuyeux, que les spectacles sont onéreux, et puis, ils ne savent pas où se renseigner pour obtenir des places ! Le Nô n’est entré dans la culture populaire que par le mystère de ses masques, connus de tous.

Quelles sont les différences fondamentales que vous avez pu observer  entre le théâtre traditionnel japonais et le théâtre francophone européen ?

Photo : Robert Bui
Masato : En Europe, le théâtre est très intellectuel. Le texte y a une place importante. Au Japon, on mobilise d’avantage le cerveau droit. Le théâtre japonais est essentiellement centré sur le corps. Le comédien travaille d’abords sur la compréhension du corps et arrive naturellement après à la parole. Lorsque j’enseigne, mes étudiants doivent d’abords sillonner le corps comme étant un microcosme contenant une myriade d’éléments dont ils n’ont pas conscience. Et puis, on ne joue pas avec son ego. Le comédien doit se faire vide, le corps chante, ce qui crée un espace qui est rempli par l’énergie du mort. L’acteur qui est dans cet espace bouge automatiquement comme un medium qui laisse passer l’énergie. En ce qui concerne la parole, parce qu’il y a du texte en Nô, Zaemi a écrit que la voix vient du corps. Le texte et la voix, ce ne sont pas les mêmes choses. La voix est une expiration, Ikki en japonais, qui veut dire aussi vivre. Chaque mot est le condensé des énergies des générations précédentes. La parole est la libération de cette énergie. En revanche, le texte mobilise le cerveau gauche qui est celui de l’intellect. En Nô l’essentiel se trouve dans la vie, il puise sa force dans les fantômes. On recherche le condensé de vies d’une infinité de descendances pour le libérer comme un medium, vecteur de l’univers.

On pourrait dire que le Nô s’apparente plus à un rituel qu’une forme de théâtre ? Comme un hommage aux morts ?

Masato : Il mélange les deux. D’ailleurs, le théâtre occidental tire son origine de la même source : le théâtre antique grec était célébré sous forme de fêtes en l’honneur de divinités. Le Nô s’inscrit dans la même tradition. Chez nous, on dit qu’on console les morts. Au japon, nos croyances font que nous rattachons tous les évènements de la vie aux morts, les catastrophes comme les bonnes choses. Quand une personne décède dans un drame, par exemple un meurtre, elle maudit le monde. Le Nô tend à consoler le mort – beaucoup de pièces de Nô racontent l’histoire de fantômes ayant eu une mort tragique qui reviennent.

Selon vous, que peux apporter le Nô aux arts scéniques européens ?

Masato : L’occident peut, à travers le Nô, accéder à une meilleure compréhension de l’origine du théâtre, au-delà du divertissement tel qu’il apparaît souvent aujourd’hui. Le théâtre Nô est très fortement inspiré du Zen : il applique un minimalisme extrême pour mener à une intense concentration avant de libérer l’énergie. Il faut donc un grand apprentissage en amont pour effacer tout ce qui est inutile et arriver à une économie du mouvement. Je pense que culturellement, le Nô figure l’inverse du théâtre occidental dans le sens où il tend à la concentration du mouvement, de l’énergie, plutôt qu’à son expansion, c’est-à-dire l’expression.

(À Bruno Marin, comédien, assistant et apprenti de Masato)
Puisqu’on en parle, qu’est-ce que ça t’as apporté à toi, en tant que comédien occidental ?

Bruno : On apprend énormément des postures du corps. J’ai le sentiment que Masato construit le corps des élèves. En travaillant sur les différentes postures, le corps s’assouplit et devient réellement mobile. On retrouve le plaisir simple d’inspirer et expirer, de bouger, de mobiliser la voix,… Rien que cela peut être suffisant comme apport, parce que si on a du plaisir sur scène, on peut déjà communiquer. Après, il y a une multitude de développements possibles, mais la base est que l’on peut retrouver les ressources du corps, comme un royaume que l’on doit reconquérir. Je pense que dans les formations  en occident, les professeurs ne dispensent le plus souvent que des fragments (cela dépend des professeurs bien entendu !) mais jamais de la globalité. Nous, occidentaux, on veut tout faire et donc on court à droite à gauche. Dans le Nô, on s’arrête et on s’attarde sur le corps de l’acteur. Masato a élaboré un système qui englobe l’acteur, en ayant travaillé sur son propre corps. Nous sommes dans une logique globale.

Masato : Plutôt que de considérer le corps comme un outil, un objet, pour nous le corps est un microcosme complexe. J’ai observé que la culture occidentale a énormément scindé le corps en différentes sciences (Masato nous fit comprendre l’allitération entre « science » et « scindé ») et analysé chaque partie indépendamment. Le corps est donc considéré comme un objet, un assemblage d’outils. Or le Nô considère le corps et l’esprit liés en toute circonstance. Il faut apprendre à dialoguer avec son microcosme et s’amuser avec.

Bruno : Un exemple concret : depuis quelque temps, j’ai remarqué que mon sens du goût s’était développé. À force de travailler dans ce sens, les capacités endormies du corps se réveillent peu à peu, et les changements sont marquants.

Pouvez-vous nous expliquer la nécessité du travail martial dans la formation d’un acteur ?

Masato : Je ne dis pas qu’il est nécessaire mais en tout cas, ça aide ! Le Nô et l’art martial sont assez proches, d’ailleurs le Nô marchait sur les traces des samouraïs : vers  une maîtrise du corps et de l’esprit. Les arts martiaux apportent une notion de maîtrise de l’espace et du lien avec le partenaire. Comment je manifeste ma présence à l’adversaire ? Comment attirer l’attaque ? Le questionnement est presque le même. On s’intéresse à la communication entre l’un et l’autre : on pousse l’énergie, on l’attire, on la réduit, on l’augmente, etc.  L’objectif des arts martiaux japonais, c’est le vide. Lorsqu’on manifeste son intention d’attaquer, l’adversaire comprend et peut contrer. Si l’on devient vide, l’adversaire sera surpris. Dans le Nô, on recherche cet état vide. Ainsi, rien n’est télescopé et de là naît le mystère. En étant vide, on peut absorber l’énergie du public. Le théâtre occidental travaille sur la présence, le Nô travaille sur l’équilibre entre l’absence et la présence. Le même principe est appliqué aux arts martiaux : on attaque puis on attend. C’est le fondement de la rupture.

Comment expliqueriez-vous la notion d’énergie et de fluidité interne et externe à un élève qui n’a jamais entendu parler de ça ?

Masato : Dans ce cas-là, j’essaye d’être le plus concret possible. Par exemple, en reprenant un principe du Taoïsme, je demande à l’élève de considérer son corps comme un sac d’eau, le corps humain étant composé à 80% d’eau. Quand on marche, à chaque pas il y a une explosion intérieure du à l'impact du pied sur le sol. Cette ondulation, cette explosion, est ce qu’on appelle l’énergie. Avec ce flux, le corps peut alors bouger presque automatiquement. Concrètement l’énergie vient donc de la gravité ; il y a une action/réaction à chaque fois que l’on interagit avec la gravité. Dans le flamenco, les danseurs frappent la terre du pied et le public peut sentir cette explosion. Ça c’est l’énergie.

Pouvez-vous nous expliquer le concept de « hanches flottantes » ?

Masato : L’essence de l’art oriental est l’adéquation entre l’énergie du ciel et de la terre. L’humanité doit se situer dans l’intermédiaire entre le ciel et la terre, le haut et le bas, elle est flottante. Ce principe, appliqué au corps, situe les hanches (jusqu’à la 5ème lombaire) au niveau flottant, dans un équilibre instable. À l’image d’un oiseau qui se pose sur une fine branche : il est toujours entre s’envoler ou  tomber. Le concept des hanches flottantes est de rendre le corps disponible à se mobiliser vers toutes les directions tout le temps, comme un gardien de football. Contrairement à la danse classique qui tend fort vers le ciel, le théâtre Nô part de la terre puis vers le ciel pour y revenir ensuite dans un cycle naturel. Il forme l’acteur au dialogue du corps avec le cosmos, du corps avec la gravité, comment arrêter de lutter par ignorance contre la gravité.

Vous avez complété votre savoir tout au long de diverses formations (Nô, Karaté, Tai Chi, Kendo, Aiki, etc.) Ayant mélangé tous ces différents arts, considérez-vous que vous vous êtes approprié et réinventé un style de Nô ?

Photo : Robert Bui
Masato : Ce que je propose comme forme est vraiment la forme traditionnelle de Nô. À l’exception que dans la formation au Nô, il n’y a pas d’explication ni de méthode. Pour moi, mon maître ne m’a rien expliqué, je devais tout observer et ensuite imiter. Par exemple : si mes épaules étaient trop hautes, je devais m’en rendre compte par moi-même. Évidemment, la formation traditionnelle implique de commencer dès son plus jeune âge or moi, j’ai commencé très tard donc je me devais d’observer et d’apprendre beaucoup plus qu’un autre élève qui y était en immersion totale. C’est pour cela que je me suis mis à chercher des éléments dans les arts martiaux. Ça m’a beaucoup aidé. Ç’est pourquoi aujourd’hui, je m’inspire des arts martiaux et de ses modes d’apprentissage pour former mes étudiants. Je donne les explications et les commentaires mais le Nô que j’enseigne est la forme traditionnelle.

Comment les arts martiaux vous ont-ils aidés dans votre apprentissage ?

Masato : J’avais commencé à pratiquer l’Aiki (à ne pas confondre avec l’Aïkido) qui est la source de beaucoup d’arts martiaux. L’Aiki est très subtile concernant la gestion du centre des mouvements, du centre du partenaire, du poids du corps, etc. On va vers des mouvements naturels comme celui des spirales proche de la structure du squelette. La spirale représente la gravitation, la même qui régit nos déplacements. Ça m’a beaucoup aidé à découvrir le corps. J’ai pu faire le rapport avec le Nô assez naturellement. Le principe de l’Aiki repose sur la force centrifuge et son antithèse, la force centripète ainsi que l’harmonie de ces forces avec la rotation du monde. Donc lorsque j’ai commencé le Nô, je pensais qu’il s’agissait de formes. Lorsque je me suis mis à l’Aiki, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de dynamiques.  Un équilibre d’énergies contraires en constante gravitation.

Quels sont les principes les plus importants du Nô ?

Masato : Comme je le disais ultérieurement, l’acteur est un medium. Il laisse passer toutes les énergies, les fantômes. La pièce est l’axe central, celui qui lie le ciel et la terre à travers l’acteur. Cette image de l’axe est ce qu’il y a de plus important.

Qu’avez-vous envie de transmettre à vos élèves ?

Masato : Ce que je veux transmettre à mes étudiants, c’est le Wa, c’est-à-dire le principe de paix, d’harmonie, de sérénité. Je parle de l’harmonie au quotidien : entre le ciel et la terre, le corps et l’esprit, le cerveau droit le cerveau gauche, etc. Aujourd’hui la science à tout scindé, le Wa tend à réconcilier toutes nos parties éparses. Mais je ne veux rien imposer ! Et je ne renie pas la science, bien au contraire ! Je pense qu’elle peut nous compléter mais je crois qu’il ne faut pas rester braqué. Je suis aussi ici pour apprendre plus de science ! La langue française est une langue très analytique, très fragmentée donc très utile pour la science et pour apprendre. En comparaison, le japonais met l’accent sur l’harmonie de la parole et est moins pratique du côté scientifique. Le français est fascinant ! Dans le chant du Nô, les mots son terrestre, c’est-à-dire qu’ils naissent de l’énergie de le terre. Le cerveau droit est terrestre. J’ai essayé de travailler ces chants en français mais ce n’est pas du tout pareil, ça marche moins bien. Je désire également que l’élève puisse découvrir son corps et son potentiel pour développer son art ou tout simplement son chemin. En somme, aider à son propre développement.

Vos rencontres en occident vous ont-ils enrichi d’une manière ou d’une autre ?

Bruno : On dit que la meilleure manière d’apprendre c’est d'enseigner. Je suis convaincu que c’est vrai. Je pense que c’est au contact de différents élèves que l’on découvre de nouvelles voies d’échanges. Et que la chose que l’on désire communiquer s’adapte étonnamment aux différentes rencontres, c’est là que je situe personnellement l’enrichissement.

Comment abordez-vous la création d’un spectacle ? Je pense notamment à « Antigone » de Sophocle que vous aviez montée en intégrant des codes de jeu et de masques.

Masato : Mes créations se basent toujours sur mon savoir du Nô, ce qui est pertinent à mon sens lorsqu’on veut travailler sur l’origine du théâtre. Le théâtre comme un rituel. Lorsque je joue, je peux tout à fait faire autre chose selon les projets ! Bruno Marin a d’ailleurs participé au projet « Antigone ».

Bruno : C’était un travail magnifique ! Visuellement, c’était très épuré. Il y avait un chanteur kurde ! La scénographie était très minimaliste. J’ai pu expérimenter le jeu masqué. Pour un acteur, c’est quelque chose de très puissant parce que c’est une manière d’entrer en contact pleinement avec la notion d’énergie, qui est une notion qu’on rend rapidement ésotérique  dès notre enfance alors qu’il s’agit de quelque chose de très concret !

Comment vous êtes-vous rencontré tous les deux ?

Bruno : Je participais à un stage intensif d’Aïkido à Caen. J’y ai rencontré un artiste normand qui m’a parlé de Masato Matsuura et qui m’a montré des images de son travail. Ces images m’ont donné envie de participer à un stage comme celui organisé en 2012 à la Bellone. J’ai senti qu’il y avait quelque chose d’important qui se développait et très naturellement on s’est retrouvé, avec d’autres personnes à Bruxelles, à travailler ensemble. C’est comme une famille qui s’est formée.

Qu’est-ce qui vous inspire en général ?

Masato : Les choses qui m’inspirent sont partout ! Aussi bien à l’extérieur, l’univers, qu’à l’intérieur de moi, qui sont inscrites dans l’ADN.

Photo : Robert Bui
Bruno : Ce qu’on fait avec les participants aux stages m’inspirent beaucoup également. Et puis beaucoup de choses quotidiennes, comme un morceau de musique qui, tout d’un coup, nous questionne intérieurement. On se relance alors sur des questions fondamentales comme : qu’est-ce que je veux faire ? Comment je veux le faire ? etc. Les gens inspirés donnent de l’inspiration !

Masato : Il faut se laisser traverser par les énergies. En tant que pratiquant de sabre, quand j’étais au Japon, je pratiquais souvent la nuit sous les étoiles. En référence à la méthode du 16ème siècle, je pratiquais face à la grande ourse. De cette façon, je pouvais directement communiquer avec les anciens maîtres. Je m’inspire beaucoup des anciens.

Si l’on vous donnait les moyens de monter le spectacle parfait, celui dont vous rêvez, comment serait-il ?

Masato : C’est une question difficile parce qu’il ne s’agit pas de moyens ! L’idéal serait de pouvoir jouer une pièce telle qu’elle était dirigée par Zeami ! Ou telles qu’elle était dans l’antiquité grecque ! Je dirais, le spectacle au plus près de l’origine du théâtre.

Bruno : Et puis par rapport à la situation difficile des artistes aujourd’hui, si l’on pouvait remonter le temps pour remettre l’artiste à la place qu’il lui revient de droit, c’est-à-dire à l’essence d’une culture, ce serait bien aussi !

Que pensez-vous de la situation de l’artiste aujourd’hui ?

Masato : Sauf exception, l’artiste a toujours eu une vie difficile. Les plus grands artistes ont combattu la misère !

Bruno : Tout le monde a besoin d’être artiste quelque part. Tout le monde ressent le besoin d’exprimer quelque chose à un moment. Malheureusement, tout le monde n’a pas la liberté de le faire. Le système en place ne permet pas à tout un chacun de s’exprimer parce qu’il ne donne les moyens qu’à certains « élus » pour qui on a dit qu’il faisait du bon travail tandis qu’à un autre, on lui a dit que ce qu’il fait était mauvais . Il nous faudrait un système où chacun pourrait très simplement s’exprimer à travers son art, petitement ou grandement, sans se confronter à un jugement réprobateur.

Un dernier mot ?

Masato : Je voudrais préciser, par rapport à la création « Antigone », où j’ai engagé beaucoup de musiciens en tous genres : je dis toujours que le flamenco est le cousin du Nô. L’origine du théâtre Nô c’est l’Inde. Personnellement, je crois qu’il y a aussi des racines dans l’Egypte ancienne, des grecs antiques, d’Alexandrie,… Chaque art puise son origine dans de multiples voyages. C’est pour cela que je suis ici aujourd’hui, je veux chercher l’origine de mon art. C’est mon voyage. Mes élèves occidentaux m’apportent l’inspiration, je découvre de nouvelles origines. Récemment j’ai pu faire un rapprochement entre l’Aïki et le Nô avec la musique baroque ! Des éléments que je ne comprenais pas se sont soudain éclairés à travers la musique baroque. Un exemple d’harmonie entre les arts !